Interstices, le projet
Le projet Interstices est une exploration technique, sensible, artistique et scientifique de la cémentation. La cémentation fait partie des premières techniques de coloration du verre à plat apparues au cours du moyen âge.
Nous avons découvert cette technique au cours d’une immersion dans l’atelier Décor sur Verre au Lycée Professionnel Lucas de Nehou à Paris. Technique manuelle permettant d’obtenir un verre coloré dans la masse, elle utilise une poudre appelée le jaune d’argent pour faire des surfaces jaunes. Le rouge de cuivre, mis au point à la fin du XXème siècle par Hervé Debitus, permet de d’obtenir des surfaces rouges.
En expérimentant la cémentation, nous avons découvert qu’en mélangeant les oxydes servant à la coloration du verre, le rouge de cuivre et le jaune d’argent, nous obtenons des teintes métallisées et des effets très texturés qui changent d’aspect en fonction du support de fond et des conditions de lumière.
La matière restant lisse elle est facile à nettoyer, résistante puisque dans la masse, complètement hygiénique et tout à fait adaptée pour un usage architectural.
La technique que nus avons utilisé consiste à mélanger des oxydes de cuivre et d’argent à de l’huile de lin, normalement appliqués séparément, et à l’appliquer sur la face « float » (qui a été en contact avec de l’étain lors de la fabrication) du verre. Lors de la cuisson à 600°, Il se produit une réaction chimique qui colore le verre. La pâte utilisée peut être par la suite récupérée et remélangée à l’huile de lin afin de servir à une deuxième cuisson. Cette réutilisation produit d’autres nuances d’effets d’une nature similaire à ceux de la première cuisson.
Les effets produits créent des illusions visuelles de textures/ des motifs qui rappellent des textures tactiles, qui n’apparaissent pas au toucher de la matière qui elle reste lisse. Ces effets sont révélés par la lumière qui influe sur notre perception optique.
Les effets obtenus
Vert de gris: le mélange de rouge de cuivre et jaune d’argent appliqué en couche très épaisse produit un effet d’oxydation type vert de gris. (Photo) Par contre, avec le rouge de cuivre seul, on ne le retrouve pas. C’est bien le mélange rouge de cuivre et jaune d’argent qui le provoque.
Métallisation: le mélange de rouge de cuivre et jaune d’argent, appliqué en couche très épaisse produit un effet de métallisation, dans les teintes cuivrées dorées. Cet effet se produit dans la couche superficielle du verre et garde sa transparence contrairement à une application d’un produit à dorer sur sa surface. (Photo)
Luminescences: le mélange de rouge de cuivre et jaune d’argent appliqué en couche plus fine produit des effets de luminescences bleutées visibles lorsque l’échantillon est disposé sur fond foncé. Le même effet se produit lorsque une couche épaisse de jaune d’argent a subi une cuisson avec la présence d’autres échantillons qui comportent du rouge de cuivre. On suppose une volatilisation du cuivre qui vient se fixer sur les échantillons en jaune d’argent pendant la cuisson. (Photo)
On se rend compte que ces effets peuvent être considérés comme des rebuts lorsqu’ils sont apparus par hasard mais pour nous ils sont intéressants à développer car ils ouvrent de nouvelles pistes d’utilisation pour la cémentation et pour des application en architecture.
Les outils du design couleur-matière
Nous avons réalisé des cartographies analytiques des effets qui découlent de nos formations en design et design couleur matière afin de nous aider à comprendre les processus en jeu dans l’apparition de ces textures inattendues.
Ces cartographies constituent un outil de compréhension technique et sensible propre au regard du designer et qui n’a pas de visée scientifique. Elles nous ont permis de classer les échantillons par types d’effet. (Photos des cartographies).
Deuxième série d’échantillons, 201
Protocole de recherche – Chimie des matériaux
Depuis mars 2019, nous travaillons avec la chercheuse en chimie des matériaux Soccoro Castro et le doctorant en chimie des solides et sciences des matériaux Jorge Salgado Beceiro de l’Université de Corogne. Après l’analyse de nos premiers échantillons, une première hypothèse expliquant certains aspects de nos effets a été émise.
Comprendre que Les luminescences bleues seraient dûes à l’oxydation du cuivre présent dans la pâte, nous a aidé à redéfinir notre méthodologie. Nous avons donc développé ensemble un protocole scientifique pour nous permettre de comprendre les réactions chimiques, de rationaliser nos premières expérimentations et de mieux maîtriser l’apparition des effets. (Photo de l’ensemble des résultats du protocole)
Démarche collaborative
Notre approche de terrain a été inspirée par les sciences sociales, se voulant non invasive et à visée exploratoire.
Nous avons donc mis en place une démarche collaborative, de partage et de transmission par une méthodologie expérimentale et intuitive.
Notre parti pris en tant que designers est celui de créer des liens entre des savoir-faire et des domaines parfois éloignés. Ceci est véhiculé par une approche humaniste et sensible du design. C’est le rapport humain qui est moteur de cette recherche et qui va influencer notre vision du modèle économique et scientifique qui en découle. Ainsi, la perception des effets visibles sur le verre ouvre à l’envie de collaborer et guide nos collaborations.
(légende de schéma)Une boucle ouvre des portes pour de nouvelles boucles d’expérimentation-analyse par le biais d’hybridations techniques. Dans le cadre de notre projet nous en avons fait deux: Une avec du soufflage de verre et une avec des techniques de design computationnel et mécatronique.